La Russie a annoncé avoir déposé le dossier d’enregistrement de son vaccin auprès de l’Agence européenne du médicament (AEM) et espère qu’il sera examiné courant février.
La Russie a annoncé avoir déposé le dossier d’enregistrement de son vaccin auprès de l’Agence européenne du médicament (AEM) et espère qu’il sera examiné courant février. Mais saura-t-elle déminer les suspicions européennes qui pèsent sur le Spoutnik V ?
Le Spoutnik V part à l’assaut du commerce européen. Mais plus encore que ses concurrents, le vaccin russe devra montrer patte blanche. Le premier né de la grande course aux vaccins pâtit toujours, aux yeux des Européens, de son image de prématuré. Les essais cliniques de phase 3 n’étaient pas encore terminés que la Russie lançait déjà sa campagne nationale de vaccination. Au total, près de 1,5 million de personnes ont déjà reçu le Spoutnik V dans le monde.
La Biélorussie, la Serbie, l’Argentine, la Bolivie, l’Algérie, les territoires palestiniens, le Venezuela, le Paraguay et le Turkménistan lui ont fait confiance. Vendredi 22 janvier, la Hongrie a annoncé, elle aussi, une commande de 2 millions de doses à contre-courant de ses partenaires européens, pointant du doigt la lenteur de l’UE. Justement.
Le Fonds souverain russe a annoncé le 20 janvier avoir entamé la procédure d’homologation auprès de l'Agence européenne des médicaments (AEM), et espère que le dossier sera examiné en février. Pourrait alors commencer un long examen continu, dit « rolling review », au cours duquel les Russes devront encore fournir les résultats intérimaires de leurs essais cliniques de phase 3.
Faire preuve de transparence
Selon Moscou, le Spoutnik V est efficace à plus de 90 %. Mais une publication en septembre dans la prestigieuse revue The Lancet a jeté le doute sur la transparence et la bonne foi de la Russie sur son vaccin. Les scientifiques russes affirmaient qu’il n’entraînait pas d’effets indésirables graves. Une trentaine de chercheurs, pour la plupart européens, ont au contraire souligné des « incohérences potentielles » dans les données publiées.
Avec cette demande d’autorisation européenne, « la Russie montre [aujourd’hui] qu’elle a envie d’entrer dans le concert des nations les plus développées du monde qui ont une reconnaissance scientifique », s’enthousiasme pourtant l’épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, Antoine Flahault. Indépendante, l’AEM ne transigera sur rien avant de donner un éventuel feu vert au vaccin russe.
L’Allemagne pour allié
Les Russes « n’auront d’autre choix que de faire œuvre de transparence », reprend l’épidémiologiste avant de détailler : « D’abord, toutes les données vont être communiquées au public. Ensuite ils devront se soumettre à des inspections indépendantes européennes de leurs sites de production. C’est l’agence qui choisira quand elle voudra les visiter. »
Le retour d’Alexeï Navalny, caillou dans la chaussure du Kremlin
L’Allemagne mise, elle aussi, sur le Spoutnik V. « Au-delà de toutes les différences politiques qui sont actuellement importantes, nous pouvons néanmoins travailler ensemble dans le cadre d’une pandémie, dans un domaine humanitaire », a déclaré la chancelière Angela Merkel. Elle a en outre proposé que l’institut fédéral allemand Paul-Ehrlich, chargé des réglementations sur les médicaments, « soutienne la Russie » dans sa demande auprès de l’AEM.
L’Europe prise au piège par la Russie
Mais peut-on écarter toute influence politique dans ce dossier épineux ? Non, répondCarole Grimault-Potter, professeure en géopolitique de la Russie à l’Université de Montpellier. Les relations entre l’Union européenne et la Russie se sont particulièrement tendues depuis l’arrestation de l’opposant politique russe Alexei Navalny, dont Bruxelles réclame la libération. « J’ai peur que ce dossier ne pèse sur le traitement qui sera fait de leur demande », confie la spécialiste.
Autre sujet de tension : l’autorisation ou non du vaccin lui-même. « L’Europe est un peu coincée avec tous les dossiers qui concernent la Russie. Si l’AEM refuse son autorisation, la Russie dira que l’agence n’est pas si neutre que ça, elle pointera du doigt sa non-indépendance et pourra discréditer l’AEM », relève Carole Grimault-Potter. De quoi jeter le trouble dans les esprits, alors que les autorités européennes bataillent toujours pour faire accepter le vaccin aux plus récalcitrants.
https://www.la-croix.com/Monde/Vaccins-LEurope-doit-elle-dire-oui-Spoutnik-V-developpe-Russie-2021-01-23-1201136551