Analyse La vaccination a commencé en Russie malgré la défiance sur la sécurité et l’efficacité de « Spoutnik-V », présenté à Moscou comme le « premier vaccin » au monde
Dmitri Sukhov est un des 320 000 Russes qui se sont fait vacciner au « Spoutnik-V ». Et il en est très content. « Mon niveau d’anticorps a augmenté et mon immunité s’est renforcée. Mis à part un peu de faiblesse après la première des deux injections, je n’ai senti aucun effet secondaire », raconte ce Moscovite de 43 ans qui, de formation médicale, a toute confiance dans le vaccin russe, présenté comme une première mondiale.
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L’Institut Gamaleïa, le centre de recherche d’Etat en épidémiologie et microbiologie qui l’a conçu et garantit une efficacité à 92 %, a travaillé sur une plateforme de recherche lancée bien avant l’épidémie de coronavirus. « Je connais une dizaine d’autres personnes qui se sont vaccinées au Spoutnik-V. Pour tous, cela se passe bien. Je me sens protégé même si on ne peut être sûr à 100 % des bénéfices », insiste Dmitri Sukhov.
Alors que les autorités ont lancé une campagne nationale de vaccination, le nombre de Russes prêts à être vaccinés contre le coronavirus a atteint 42 %, selon un sondage de RDIF, le fonds souverain derrière le financement de Spoutnik-V. Le pourcentage serait de moins d’un tiers, selon d’autres enquêtes dans la presse.
Diplomatie du vaccin
Autorités et médias au service du Kremlin parlent pourtant abondamment de Spoutnik-V, ainsi nommé en référence au satellite soviétique, premier engin spatial mis en orbite. « Le premier vaccin contre le coronavirus ! », s’était enthousiasmé dès cet été Vladimir Poutine qui, entre exigences sanitaires et défis géopolitiques, est soupçonné de mener une « diplomatie du vaccin ». « Je sais qu’il est très efficace », assure le chef du Kremlin dont la propre fille a participé à la première vague d’injections-tests.
Les données semblent convaincantes », a affirmé Marie-Paule Kiény, présidente du Comité vaccin Covid-19 en France et directrice de recherches à l’Inserm. Quant au laboratoire britannique AstraZeneca, il prévoit de tester la combinaison de son propre vaccin avec Spoutnik-V et a annoncé sa collaboration avec l’Institut Gamaleïa. Malgré ces assurances internationales, des doutes persistent, à l’étranger et en Russie même, alors que le vaccin n’est encore que dans la troisième et dernière phase d’essais cliniques.
« Je ne peux pas le recommander car il n’y a pas encore de données concluantes sur son efficacité et sa sécurité », prévient ainsi Alexeï Erlikh, cardiologue en chef d’un hôpital à Moscou, l’un de ces médecins russes circonspects. Avec des collègues, il a - dès la première vague de Covid-19 au printemps -, créé un site web répertoriant les personnels médicaux décédés du coronavirus. Sur fond blanc et gris, apparaissent désormais 938 noms.
« Tout cela va trop vite »
Sur la base du volontariat, la vaccination a justement commencé sur le corps médical et les enseignants, professions les plus exposées à la pandémie. « Parmi mes connaissances, des médecins se sont vaccinés. Ils n’ont pas été forcés », témoigne Alexeï Erlikh. Un syndicat médical, proche de l’opposition politique au Kremlin, affirme au contraire que, dans hôpitaux et écoles, il y a des pressions.
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« Tout cela va trop vite. Et c’est risqué », avait confié dès cet été la vice-directrice d’un hôpital de Saint-Pétersbourg. La capitale impériale, comme d’autres villes régionales, fait face à une urgence. Alors qu’au printemps, Moscou avait été l’épicentre de la pandémie, la deuxième vague touche désormais les deux-tiers du pays, où les infrastructures médicales sont bien moins développées.
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« Ils veulent tester sur nous, le personnel médical. Mais comment un vaccin a-t-il pu être conçu en si peu de temps ? », s’interroge-t-elle. À quelques années de la retraite, elle dit avoir assez d’ancienneté pour se permettre de refuser de participer aux tests. « Mais pas mes collègues plus jeunes. Vous savez comment nos autorités peuvent se montrer persuasives. »
https://www.la-croix.com/Monde/Spoutnik-V-vaccin-Kremlin-contre-coronavirus-2020-12-17-1201130695